VIOLENCES, CONSEQUENCES ET PSYCHOTHERAPIE


 

Du féminin massacré au féminin sacré

Du masculin violent au masculin puissant

Vulnerant omnes, ultima necat : elles blessent toutes, la dernière tue, cette maxime romaine concernant les heures inscrite sur les cadrans solaires illustre les effets des violences sur l'humain. Il n'y a pas pour moi de palmarès entre les violences, physiques, psychologiques ou sexuelles. Elles ont toutes leurs particularités, leurs dégâts, leurs conséquences physiques, émotionnelles et psychiques, et déforment les corps, les perceptions, les cœurs et les esprits.

 

Nous vivons une époque violente envers les enfants, les femmes, les handicapés, les pauvres, les vieux, les fous, les malades, les pauvres, les prisonniers, les sexuellement différents, ceux qui n'ont pas la bonne couleur de peau (alors que nous venons tous d'Afrique). Violente envers les victimes de violences. Violente envers la nature et les animaux qui nous nourrissent au point que nous sommes en train de détruire les conditions de survie de l'humanité dans un aveuglement suicidaire lié à l'absence du ressenti et du respect de nos limites individuelles comme des limites planétaires. Violente envers des millions de travailleurs (plus de 700 morts annuels et des dizaines de  milliers de blessés) du public et du privé se dévouant au-delà de leurs possibilités au détriment de leur santé physique et mentale.

 

Il me semble important d'insister un peu sur le monde du travail, c'est quand même là que la plupart d'entre nous passe quelques dizaines d'années, avec son lot de contraintes et de violences parfois sournoises, parfois évidentes. Mais avec toujours des conséquences funestes pour les derniers de cordée ou de corvée, ne serait-ce que la différence d'espérance de vie entre ouvriers et cadres, sans oublier l'espérance de vie en bonne santé, autre sujet, cf cet article récent du site Vie publique sur une étude de l'Ined sur ces inégalités https://www.vie-publique.fr/en-bref/289583-les-ouvriers-passent-deux-ans-de-moins-la-retraite-que-les-cadres .

 

Quel rapport ont ces violences avec la psychothérapie, me direz-vous ? Primo, elles contribuent à entretenir un champ émotionnel d'injustice et de violence qui n'épargne personne même les cyniques blasés prétendant le contraire. Car le « faites ce que je dis et pas ce que je fais » agresse directement notre sensibilité à l'injustice et au mensonge qui est  innée comme le montrent de nombreuses études sur le développement de l'enfant. Ça provoque un court-circuit dans le cerveau, une dissonance cognitive qui altère notre capacité de discernement et nous coupe de notre noyau sain.

 

Autre exemple de violence au travail à l’hôpital public avec un couple de médecins que j'ai vu en thérapie, lui urgentiste allemand en train de passer ses évaluations françaises, elle en dernière année de réanimation néonatale, son patron au CHU de Nantes lui avait dit « Si tu tombes enceinte, je te flingue », elle voulait un enfant et devant la violence de la réaction de son mandarin tout-puissant a quitté Nantes avec son compagnon pour Montpellier où ils furent tous les deux bien accueillis. Ce chef de service, pourtant responsable d'une unité de soins intensifs pour nouveaux-nés en grande souffrance ne voulait pas que son interne soit mère, un comble. 15% des étudiants en médecine et 40% de ceux en école d'infirmier ne terminent pas leurs études actuellement en France.

 

 

Cette violence a-t-elle été toujours là ou est-ce une augmentation récente ? Question légitime s'il en est. La notion de violence a fortement évolué au cours des 3 derniers siècles. Il me semble important de rappeler que l'espérance de vie en France était de 30 ans en 1850 et 45 en 1900 avec un taux de mortalité infantile autour de 20% et beaucoup plus de violences physiques et sexuelles que de nos jours, violences dont nous sommes en partie porteur par la manière dont s'exprime notre ADN en fonction des expériences de nos ancêtres. Ce que je détaillerai plus bas. Frapper un enfant pour l'éduquer était la norme générale, c'est devenu le comportement répréhensible d'une minorité (pas partout hélas), notre sensibilité à ce qui est maintenant reconnu comme de la violence s'est affinée, modifiée, et va continuer à évoluer.

 

Exemple avec l’inceste, au XIX ème siècle il était communément admis à son sujet que « le crime commence quand on en parle ». Les lois ont fortement évolué depuis, les mentalités restent à la traîne, je ne compte plus les victimes ayant été rejetées par leur famille (l'endroit le plus dangereux sur terre comme l'a si bien dit l'actrice Corinne Masiero) après avoir parlé et déposé plainte. Voir à ce sujet la vidéo de l'intervention d'Anna-Claude Ambroise-Rendu, professeur d'histoire contemporaine, lors des assises 2017 de l'association « Stop aux violences sexuelles » : « Violences sexuelles faites aux enfants, synthèse historique et perceptions dans le temps. Ou le remarquable ouvrage de l’historien Georges Vigarello « Histoire du viol » qui décrit l'évolution du regard de la société française sur le viol du XVI ème siècle à nos jours.

 

 

Les premières victimes de violences sont les enfants, suivis de près par les femmes. Pour les enfants, saviez-vous que de plus en plus d'états aux USA  légalisent le travail des enfants, parfois même à partir de 10 ans pour aller bosser chez Mac Do. Toujours aux USA, le mariage des mineurs y est légal dans 43 états sur 50 et concerne en moyenne 15.000 mineurs par an, quasiment exclusivement des filles of course, dans certains états un passage devant le juge s'impose avec des restrictions d'âge, dans d'autre un vieux pervers peut « épouser » une enfant de 10 ans sans aucune limite. Il ne s'agit là ni plus ni moins que de la légalisation de la pédocriminalié, voir l'article de l’université McGill  https://www.mcgill.ca/newsroom/fr/channels/news/le-mariage-denfants-contrevient-aux-lois-contre-le-viol-dans-de-nombreux-etats-americains-337728  N'oublions pas la crise des opiacés qui y a fait plus de 500.000 morts en 10 ans (elle arrive chez nous) et les tueries de masse quotidiennes dans ce beau pays basé sur le génocide des peuples autochtones et l'esclavage en train de s'autodétruire avec par exemple 5 fois plus de meurtres dans le seul état du Texas en 2022 que dans la France entière.

 

Revenons en France avec le terme « culture du viol » qui hérisse le poil de certains, alors que l'estimation de nombreuses associations et institutions révèle que moins de 1% des auteurs de viols sont condamnés, cf les excellents sites       https://www.stopauxviolencessexuelles.com/  et https://www.memoiretraumatique.org/ , 80% des victimes de ces violences ne sont ni reconnues, ni protégées, ni soignées. J'ai été membre 5 ans de l'association stop aux violences sexuelles qui a fait un travail magnifique et président de son antenne en Loire-Atlantique . La culture du viol n'est pas le résultat de délires anti-hommes de féministes hystériques mais l'affligeante réalité d'une société patriarcale qui produit et nécessite des hommes violents dans tous les domaines, par exemple, 85% des accidents de la route mortels en France sont causés par des hommes et 96,5% des prisonniers sont des hommes au 31 mars 2022   https://www.vie-publique.fr/fiches/268774-quelle-est-la-population-penitentiaire . Ces hommes auteurs sont bien évidemment aussi victimes. Je transformerai la maxime « On ne naît pas homme, on le devient » en « On ne naît pas violent, on le devient ». Voir à ce sujet « C'est pour ton bien », d'Alice Miller, au sujet des racines de la violence dans l 'éducation de l'enfant, publié en 1980 et toujours actuel. Une donnée peu connue à propos des viols est que plus les victimes sont jeunes, plus la proportion de garçons augmente ainsi que celle des auteurs de sexe féminin.

 

Pour en terminer avec les données, entre 2021 et 2022 il y a eu 8% d'homicides en plus soit 948 victimes, (chiffre ne prenant pas en compte les morts de la route tués par des chauffards drogués), 15% de coups et blessures volontaires sur personnes de plus de 15 ans (pas de chiffres pour les moins de 15 ans, ce qui pour moi pose problème), 17% de victimes de violences intrafamiliales supplémentaires (sans les homicides), 20% de hausse des féminicides entre 2020 et 2021, 122 versus 102, une « pause » en 2022, 111 victimes, mais des chiffres 2023 inquiétants avec 36 victimes au premier avril, ce qui donnerait 144 en fin d'année si ce terrible rythme persiste. Il y a aussi eu augmentation des infanticides, avec un manque de données encore une fois problématique, un impensé, un tabou scandaleux avec des estimations a minima du double des victimes de féminicide: https://presse.inserm.fr/cest-dans-lair/infanticides-des-chiffres-sous-estimes/ .

 

Je tiens à signaler un souci à l'éducation nationale qui ne joue pas son rôle en matière de harcèlement scolaire et de prévention des violences sexistes et sexuelles avec des suicides réguliers d'élèves victimes, une hausse aussi importante qu'inquiétante de la souffrance psychique chez les mineurs sans réponse institutionnelle à la hauteur des enjeux. D'où, entre autres, la plainte légitimement déposée par plusieurs associations pour non-respect de l'obligation de proposer 3 séances annuelles d'éducation à la sexualité en mars 2023. Beeeeeeen, vous comprenez mon bon Monsieur, chaque fois qu'il y a une séance comme ça on a au moins trois signalements d'élèves victimes, pas possible à gérer.

 

Deuxième souci et de taille pour l'utilisation malheureuse et instrumentalisée de l'expression « abus sexuels » au lieu de « violences sexuelles » et ce pour deux raisons, la première due à l'ignorance qu'en anglais to abuse signifie maltraiter, donc  sexual abuses  signifie violences sexuelles, la seconde est une volonté d'affaiblir le sens car abuser signifie d'abord « faire un usage excessif de », comment peut-on parler d'usage excessif de la sexualité avec un enfant ? C'est de la violence, point. Tout comme est violent le montant indécent et même obscène des indemnités proposées par l'église catholique pour les victimes de ses membres, prêtres ou laïcs, d'un montant maximal de 60.000 euros en France. Ce chiffre est dérisoire, une insulte aux victimes et témoigne de l'absence de conscience morale et de discernement des décideurs de telles aumônes. Un dernier chiffre à propos de violences sexuelles et d'inceste, la CIASE a commandé un sondage à l'INSERM dont les résultats illustrent une fois de plus l'ampleur de l'épidémie de ces violences https://www.inserm.fr/actualite/violences-sexuelles-au-coeur-dune-enquete-accablante/ :14,5 % des femmes et 6,4 % des hommes en France, soit environ 5,5 millions de personnes, auraient été confrontés avant l’âge de 18 ans à des violences sexuelles. Ce qui ne tient pas compte des personnes ayant été victimes après 18 ans, soit 2 ou 3 millions de victimes supplémentaires. C'est encore trop souvent double peine pour les victimes et il est plus que temps que la honte et la culpabilité changent de camp.

 

A part ça, tout va très bien madame la marquise et, outre les violences citées précédemment, l'angoisse croissante chez nos enfants est peut-être bien quelque peu aussi liée à la généralisation de la certitude des catastrophes climatiques et écologiques en cours alliée à la faiblesse des actions correctrices de nos pseudo-élites économiques et politiques. Sans oublier que cette angoisse est aussi légitime chez les adultes et que pour moi la croyance qu'une solution scientifique miracle sortie du chapeau va tout résoudre relève de la pensée magique.

 

Je voudrais ensuite dynamiter joyeusement le concept de résilience instrumentalisé par le capitalisme néo-libéral avec cet extrait de la chronique hebdomadaire de Yann Diener dans Charlie Hebdo du 7 juin 2023 à propos de l'ouvrage de Thierry Ribault chercheur en sciences sociales au CNRS Contre la résilience. A Fukushima et ailleurs éditions l'Echapée, : «  Thierry Ribault fait de Fukushima un paradigme de la production de l'ignorance, et tord le cou une fois pour toutes à la notion de résilience. Il voit dans la résilience « une technologie du consentement ». Dans un travail très documenté, il montre que les réactions à la catastrophe de Fukushima consistant à s 'émerveiller de la prétendue résilience des japonais déplacés ou contaminés ont contribué à une « production d'ignorance socialement nécessaire » ; Il montre qu'en fait de résilience les personnes concernées vont très mal, et qu'il y a une forte hausse d'hospitalisations en psychiatrie dans les régions touchées.Contre la résilience montre comment, dans d'autres domaines que celui du nucléaire,les mécanismes de « falsification du monde » tentent de faire supporter l'insupportable. Il faudrait toujours plus « s'adapter » et « dépasser ».Thierry Ribault considère la résilience comme une imposture, une « funeste chimère promue au rang de technique thérapeutique face aux désastres en cours et à venir (…) à la fois idéologie de l'adaptation et technologie du consentement à la réalité existante, aussi désastreuse soit-elle ». C'est ce qui s'est passé quand Emmanuel Macron s'est émerveillé de la résilience des personnels soignants pendant la pandémie de Covid : parler de résilience permettait de continuer à leur taper sur la tête avec le sourire. »

 

Cette violence en augmentation constante agit sur tous les plans, le corps avec notre système nerveux autonome trop souvent en position orthosympathique c'est à dire en stress, prêt à l'attaque, la fuite ou la sidération, les trois attitudes possibles face à une agression. Dans cette position la digestion cesse car elle consomme de l'énergie, ça peut aller jusqu'à vider brutalement la vessie et les intestins, ce qui n'a rien à voir avec une éventuelle peur mais que le corps s'allège et se prépare une des action citée plus haut. Si cette action ne peut se faire, par exemple avec un parent violent, il y a comme un figement de cette posture de stress avec des conséquences d'autant plus importantes que le stress est long.

 

 Exemple, un enfant battu ne sent plus les coups au bout d'un certain temps mais l'ennui c'est qu'il ne sent souvent plus non plus le plaisir du contact physique bienveillant et que la violence reçue est tout de même stockée dans le corps de diverses manières. Il y a alors un chemin de reconnexion avec les perceptions et les sensations justes à parcourir, ce qui ne peut se faire avec un travail verbal, ça passe obligatoirement par le corps et avant de ressentir de l'agréable, le douloureux caché par l'insensibilisation va revenir à la surface, pas pour répéter le trauma mais pour s'évacuer enfin. Ce qui ne peut advenir sans la conscience de nos limites corporelles, émotionnelles et relationnelles associées à une sécurité intérieure permettant l'émergence de cette douleur et de cette violence dans le cadre thérapeutique. C'est à dire que si je sens que mon thérapeute est dans sa propre sécurité, je pourrais plus facilement ressentir et laisser sortir le plus noir en moi. Autre point essentiel, la violence déforme le corps et dérègle son fonctionnement, une posture en contraction permanente entraîne juste des raideurs à 30 ans mais des lésions ostéo-articulaire à 60, une obésité due aux violences, cas des plus courants, suscite un inconfort et une stigmatisation sociale, la grossophobie,  jeune mais des pathologies de plus en plus lourde avec l'âge, une douleur chronique entraîne des adaptations posturales qui donnent des lésions avec l'âge et nombreuses sont les maladies auto-immunes dues aux violences car un stress intense et prolongé attaque directement le système immunitaire qui finit par dysfonctionner .

 

Ce dérèglement de nos sensations corporelles peut exister même si nous n'avons pas été directement victime, je pense là à la nièce d'une femme violée par son père quand elle était enfant. La sœur de la victime a eu une vie chaotique et sa fille que je vois en thérapie a le plus grand mal à se connecter à son corps, victime collatérale des viols subis par sa tante.

Encore aujourd’hui en juin 2023 des médecins au courage exemplaire sont poursuivis devant le conseil de l'ordre des médecins par des parents soupçonnés de maltraitance pour « immixion » dans la vie familiale ou pour avoir fait des signalements de violences au procureur. Pire, le 31 mars 2023, Madame Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi, vice-présidente du conseil national de l'ordre des médecins, déclarait qu 'elle n'était pas favorable à une obligation de signalement à la justice pour les médecins qui soupçonnent des violences sexuelles chez un enfant. Cette obligation a été demandée dans les conclusions intermédiaires du 31 mars 2023 de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants ( Ciivise, site internet www.ciivise.fr ). Cette commission estimant qu'il y a chaque année au moins 160.000 enfants victimes de violences sexuelles en France, soit 18 ou 19 agressions par heure, si nous y ajoutons les violences physiques et psychologiques dont les estimations sont très diverses, nous atteignons 5 ou 600.000 enfants. Une véritable épidémie silencieuse aux conséquences humaines, sociales, médicales, politiques et économiques effrayantes. Les études sociologiques et épidémiologiques sur l'inceste en sont à leurs débuts, cf l'article du CNRS en lien https://lejournal.cnrs.fr/articles/ce-que-lon-sait-de-linceste-en-france .

 

Pour les seules violences sexuelles vous trouverez toujours sur le site de « Stop aux violences sexuelles », assises 2018, l'intervention du professeur d'économie Jacques Bichot « Evaluation  médico-économique des répercussions des violences sexuelles », il arrive à une estimation de coût de 100 milliards d'euros par an en France, chiffre à tripler au minimum avec les conséquences des autres violences, soit pour ceux que les chiffres avec trop de zéros rebutent, au moins 4500 euros par an et par français. Rajoutons-y les coûts sociaux de l'alcool et des autres drogues, légales ou non et nous pouvons rajouter une grosse centaine de milliards, à tempérer par le fait que les usagers de drogues ont majoritairement été victimes de violences. Il est cependant certain qu'avec une réduction de 50% des usagers, il n'y aurait plus de déficit public en France (125 milliards d'euros en 2022)

 

Pour en terminer avec la banalisation des violences dans le milieu médical et politique, voir le lien suivant : https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/secret-medical-violences-couple  où le conseil national de l'ordre des médecins se glorifie d'avoir « pleinement pris part au Grenelle contre les violences conjugales » et rappelle que « la levée du secret médical est possible lorsque les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat, et que cette dernière se trouve sous l'emprise de l'auteur des violences ». Traduction, si l'auteur des violences se contente de quelques claques, coups de poings, de pieds ou de ceinture sans mettre la victime en danger de mort immédiate, il n'y a pas obligation légale de lever le secret médical.

Lesconséquences du stress et de la violence peuvent se transmettre sur plusieurs générations comme l'ont prouvé des études en épigénétique ( étude des variations dans l'activité des  gènes induites par l 'environnement sans modification de l'ADN ), exemple entre autres dans l'article suivant :

https://www.mcgill.ca/about/fr/histoire/10-histoires-en-vedette/invention-de-epigenetique

Mais, bonne nouvelle, ces études montrent également que ce n'est pas une fatalité et que nous avons toute notre vie le pouvoir d'agir sur l'expression de nos gènes en fonction de l'environnement où nous vivons qui influe lui aussi bien évidemment, en cas de guerre par exemple.

 

Les violences conditionnent également nos pensées et nos émotions en entraînant des aberrations, des réactions incompréhensibles ou des biais cognitifs. Exemple avec Franz Stangl, moins connu qu' Adolf Eichmann ou Rudolf Hoess, le commandant d'Auschwitz. Comme eux, il fut élevé dans la soumission à l'autorité par la violence en Autriche et devint policier. Lors de l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie, il lui fut demandé, pour être intégré à la police allemande, d'abjurer sa foi catholique, ce qu'il fit. Fonctionnaire zélé et obéissant, il termina sa carrière en commandant les camps d'extermination de Sobibor et de Treblinka en Pologne. Il a pu fuir au Brésil en 45 où il a travaillé dans une usine Volkswagen. Retrouvé par Simon Wiesenthal et extradé en Allemagne, il fut condamné à la prison à vie en 1970. Et c'est alors que Gitta Sereny (1921-2012), journaliste biographe et historienne britannique d'origine hongroise est venue l'interviewer pour un livre magistral « Au fond des ténèbres, de l'euthanasie à l'assassinant de masse : un examen de conscience ». Elle a su dénouer et déjouer avec adresse les nœuds et les pièges de la conscience et du discours de Stangl qui avait toujours eu l'excuse répandue « je n'avais pas le choix, il fallait obéir, si ce n'avait pas été moi un l'autre l'aurait fait ….. » Au moment où il pris conscience de sa responsabilité individuelle, son attitude corporelle et son expression se sont transformés, après un moment difficile il a raccompagné Gitta Sereny en terminant leur échange par une phrase banale et est mort dans le lendemain midi d'une crise cardiaque le 28 juin 1971. Les digues contenant et retenant la violence et la culpabilité ayant cédé, ce qui a probablement généré une sécrétion massive de cortisol, l'hormone du stress, entraînant un arrêt cardiaque.

 

Je n'ai heureusement jamais été témoin d'un tel phénomène mais il m'est arrivé plusieurs fois, en thérapie personnelle ou comme thérapeute, de vivre et d'accompagner des prises de consciences aux effets puissants. J'ai consulté à Lyon dans les années 90 une psychiatre retraitée atypique pour une recherche sur ma lignée maternelle qui m'a permis de déterrer un secret de famille aux conséquences douloureuses. J'étais assis en face d'elle qui regardait mon arbre généalogique et elle me dit une phrase toute simple que j'oublie aussitôt, mal à l'aise je lui demande de répéter, rebelote, je lui redemande en me demandant si je n'étais pas d'un seul coup d'un seul coup devenu neuneu, elle répète pour la troisième fois et là arrive une grosse vague de chaleur qui monte de mon ventre, je tombe presque dans les pommes, impressionnant, surtout la première fois. C'était l'effet des défenses psychiques qui ne voulaient surtout pas que j'entende.

 

Des effets puissants du même ordre peuvent surgir lors d'une pratique de posture, d'un massage ou d'un autre outil thérapeutique, ils sont aussi accessibles par le biais de l'art à la nuance près qu'avec l'art il peut y avoir l'effet physique et émotionnel mais plus rarement la prise de conscience. Ces manifestations libératrices, qu'on peut appeler ou pas abréaction sont plus fréquentes en groupe de thérapie car la dynamique et le processus thérapeutique s'y trouvent amplifiés. J'ai aussi vu le cas où la prise de conscience ne s'est pas faite malgré des manifestations physiques et émotionnelles intenses, quelque chose a manqué ou ce n'était simplement pas mûr. Avec toute l'humilité de connaître, reconnaître et accepter nos limites de thérapeute.

 

En tout cas et quitte à me répéter, le travail thérapeutique sur l'effet des violences, quelles qu'elles soient, demande de la part du thérapeute, discernement, empathie, délicatesse, engagement et sincérité. Avec comme objectifs de base le ressenti et le respect des limites, la sécurité intérieure et l'ancrage. Ce qui demande aussi de l'expérience thérapeutique qui peut être utile à condition de ne pas consister à juste répéter les mêmes techniques ou attitudes de manière rigide et dogmatique. Chaque être est différent. Je  pense là à deux phrases, la première tirée du Cid de Corneille « Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années », la seconde tirée de « Les hérétiques de Dune » de Frank Herbert, 1920-1986, qui fut en plus d'être l'auteur génial de la saga de Dune, psychanalyste jungien, une conversation entre la Révérende Mère du Bene Gesserit Taraza et Miles Teg « En vivant plus longtemps,on a l'occasion d'observer davantage. Taraza répond, je ne pense pas que ce soit aussi simple. Certains n'observent jamais rien. Ils se contentent de subir l'existence avec une sorte d'insistance passive, et ils résistent avec un dépit rageur à tout ce qui pourrait les tirer de leur fausse sérénité ».

 

Je suis persuadé avec mon expérience personnelle et celle des personnes qui m'ont fait confiance, que même en cas de violences graves, la psychothérapie peut être d'une grande aide . Nous avons l’âge de nos blessures et il est rare qu'il suffise du passage du temps pour les cicatriser.

 

Message aux auteurs de violences ayant assumé les conséquences pénales de leurs actes et qui sont encore taraudés par des pulsions destructrices envers eux ou autrui : je suis prêt et compétent pour vous accueillir dans un chemin de conscience et de guérison.

 

Je terminerai avec un extrait issu de « Les contes des arts martiaux », réunis par Pascal Fauliot, collection Spiritualités vivantes, Albin Michel : « Voilà tout ce que je peux vous expliquer ici. C'est à vous d'en expérimenter la vérité. La vraie compréhension se trouve en dehors de tout enseignement écrit. Une transmission spéciale d'homme à homme est nécessaire mais de toute façon la vérité ne s'atteint que par soi-même. Enseigner n'est pas très difficile, écouter non plus, mais il est vraiment difficile de devenir conscient de ce qui est en vous »

 

En vous souhaitant un chemin de conscience riche et fructueux.

 « Bien que tu aies des yeux pour voir autrui, il te faut un miroir pour te regarder »